En mars 2020, le jour même de l'annonce de la fermeture des écoles, paraissait le livre Un instit ne devrait pas avoir à dire ça !
Sylvain Grandserre y dénonçait avec humour et dérision les dysfonctionnements de l'Éducation nationale et le mal-être enseignant qui en découle. Un an après, le professeur des écoles fait l'amer constat que rien n'a changé. Il témoigne, encore et toujours, pour faire entendre l'alerte : à quelques mois des élections présidentielles, il est urgent que la question scolaire ne se limite plus à la seule actualité sanitaire.
France. Mardi 6 avril 2021, 7h59.
Dans quelques instants, la continuité pédagogique va faire son grand retour, pile un an après le premier confinement dû à la pandémie de Covid. Il y a six jours, le Président de la République a annoncé la fermeture de tous les établissements scolaires pour trois semaines : la première avec de l'école à distance puis quinze jours de vacances pour tous.
Jusqu'au bout, le ministre de l'Éducation nationale s’est entêté à maintenir les écoles ouvertes dans une inquiétante exception française. Dehors, il est interdit aux citoyens masqués de se regrouper à plus de six ? En maternelle, on entasse une trentaine d'élèves non masqués toute la journée dans la même pièce. Bars et restaurants sont fermés ? Pas la restauration scolaire où passent dans une même espace des centaines d'élèves chaque midi.
En France, il n'y a rien à craindre car, pour le ministre, ce n'est pas à l'école que les enfants se contaminent mais dans leur famille. Et après, quand les enfants reviennent en classe ? Euh… Silence. Un membre du Conseil scientifique fait d’ailleurs remarquer que l'école est le « talon d’Achille assumé du dispositif actuel ». Aussitôt, Jean-Michel Blanquer rétorque que les parents doivent « assumer ce risque » d’augmenter ainsi de 30 % les dangers d’une contamination.
Comme l'an dernier, quand il affirmait - le jour même de l'annonce de la fermeture des établissements scolaires - que cela n'avait jamais été envisagé, le ministre doit se soumettre à la décision d’Emmanuel Macron. Ce dernier ne semble plus trop croire à ce virus faisant demi-tour à la grille de l'école. Les contaminations entraînent des fermetures en cascade. Autant décider de fermer et donner l'illusion de tout contrôler.
8h00.
Dans quelques minutes, parents, élèves et professeurs vont pouvoir se connecter pour entamer ce travail scolaire à distance. 5, 4, 3, 2, 1 et.... et.... rien ! Bug géant ! Panne générale ! Accès impossible aux Espaces Numériques de Travail, classes virtuelles en rade, pas de connexion au CNED. Un raté monumental, un plantage gigantesque, un échec historique qui se répétera toute la semaine.
Étonnant ? Non. Ce crash, à la Une des médias, c'est la vérité qui éclate enfin au grand jour. Désormais, les Français ne peuvent plus ignorer l'écart considérable entre les fanfaronnades médiatiques et cette réalité du « démerdentiel ». Annonces prétentieuses et déclarations péremptoires s’envolent en fumée. Car avant cela, le ministre aura tout essayé.
Il y aura eu toutes les tentatives de minimisation de la contamination pour masquer l'absence totale d'adaptation et d'anticipation. Rien n'a été prévu : pas de tables individuelles pour espacer les enfants, pas de détecteurs de C02 ou de purificateurs d'air, pas de recrutements supplémentaires. A l’école, comme dans la société, on est en retard sur tout : la prise de conscience, les masques, les tests, les vaccins, l’informatique. « Le fait que nous allions vers un équipement systématique de chaque élève et chaque professeur est notre objectif » (France Inter, le 27 juillet 2020). Depuis ? Une prime a minima d’une centaine d’euros. Comme toujours, les promesses n’auront engagé que ceux qui y croient.
Pire, Jean-Michel Blanquer se rigidifie comme jamais et insulte à tout-va. Les professeurs opposés à sa réforme du bac ? Des « radicalisés » ! Les réunions non-mixtes de l'UNEF ? Elles mènent au « fascisme » ! Il avoue que le concept d’islamo-gauchisme n’a pas de « contenu scientifique » ? Ça fait, dit le ministre, des ravages à l’université ! On a osé critiquer ce qui aurait bien fonctionné l'an dernier ? C’est « antipatriotique ». Blanquer c’est la France et l’État c’est moi, semble dire notre Louis XIV sans perruque.
Une façon sans doute de faire oublier que les ennuis se sont accumulés : Jean-Michel Blanquer n'a pas obtenu le ministère de l'Intérieur qu'il convoitait. Il ne s'est pas lancé dans les élections régionales devenues bien trop risquées pour son bizutage électoral. Et le voilà éclaboussé par la sulfureuse affaire du syndicat Avenir lycéen. Sa gestion de la pandémie a révélé tout son mépris pour les enseignants. Il suffit de voir le pataquès d’une vaccination promise peut-être dès février ou pour mars, puis repoussée à mi-avril ou fin avril, à moins que ça soit mai ou juin, allez savoir !
Derrière toutes ces agitations et gesticulations demeure un management bien inquiétant. Les enseignants réclamaient la simplification administrative ? Ils ont vu se succéder les protocoles sanitaires dont le premier - d’une soixantaine de pages - à appliquer dans l’urgence. Ils espéraient plus de respect après le suicide de Christine Renon ? Le ministre a refusé de décaler comme promis l'horaire de retour en cours pour que puissent s'organiser convenablement les hommages à Samuel Paty. Jean-Michel Blanquer allait « faire du prof français le professeur le mieux payé d’Europe » ? Le point d'indice est toujours gelé et la maigrichonne revalorisation de l’automne ne concernait pas les 2/3 des enseignants. On espérait un peu de transparence ? Le ministre n'a laissé publier que 7 des 82 rapports de l'Inspection générale. L'école manque cruellement de moyens ? Jean-Michel Blanquer a économisé 600 millions sur le budget de son ministère en 2020. Etc.
Et bien sûr, notre actualité reste la même : fermetures d'écoles et de classes, effectifs ingérables, formation continue au rabais, système scolaire complètement inégalitaire, élèves en situation de handicap sans solutions, carences graves de personnel (psychologues, maîtres spécialisés, remplaçants).
Il y a un an, dans le livre Un instit ne devrait pas avoir à dire ça !, tout cela était déjà annoncé et dénoncé. À quelques mois des élections présidentielles, il est urgent d'entendre l'alerte ainsi lancée pour que la question scolaire ne se limite plus à la seule actualité sanitaire. L’école aussi a besoin de sortir du tunnel ! Et ce livre peut vous éclairer.
Sylvain Grandserre
Professeur des écoles, auteur de Un instit ne devrait pas avoir à dire ça ! (ESF Sciences Humaines, 2020)
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