Lieu de transmission et d’émancipation, l'école est aussi trop souvent un lieu de blessures pour l’élève persécuté ou pour l’enseignant chahuté.
Jean-Pierre Bellon et Marie Quartier, spécialistes des questions de harcèlement scolaire, proposent une nouvelle approche pour comprendre ces phénomènes et intervenir dans de telles situations. Ils ont publié l'ouvrage Les blessures de l’école. Harcèlement, chahut, texting : prévenir et traiter les situations pour aider le personnel éducatif et les parents à agir au quotidien face aux souffrances dont ils peuvent être témoins ou qu'ils peuvent eux-mêmes subir.
Quelle est la particularité de votre approche pour lutter contre le harcèlement scolaire ?
Notre approche a la particularité d’analyser le harcèlement entre élèves comme un piège dans lequel tout le monde tombe : élèves intimidés, élèves maltraitants, parents, enseignants… En agissant à tous les niveaux à la fois, on peut défaire le piège. Nous proposons un protocole complet dans lequel les élèves sont accompagnés par les adultes de l’institution, dans une démarche avant tout éducative, destinée à les responsabiliser, et qui passe par un travail sur la posture des élèves auteurs de brimades, comme par un soutien adapté aux élèves qui sont leurs cibles. L’aide aux parents des enfants victimes par l’institution scolaire, comme une réflexion sur les pratiques pédagogiques des enseignants en classe, sont également essentielles pour modifier les interactions responsables des situations de harcèlement. Notre méthode tient donc compte de la dimension systémique du harcèlement scolaire, et non uniquement d’un aspect particulier ou d’un autre. Elle est accessible aux personnels de l’Education nationale, c’est pourquoi le Ministère de l’Education nationale nous a confié la charge de la diffuser sur tout le territoire, à commencer par six académies pilotes.
Vous faites la distinction entre intimidation, chahut, humiliation, harcèlement et sexting. En quoi est-ce que chacune de ces situations appelle des réponses particulières ?
Nous considérons que les blessures de l’école s’entretiennent mutuellement et se répondent : le chahut favorise le harcèlement entre élèves (que nous préférons appeler « intimidation »), de même que l’humiliation de l’élève par le professeur, qui enclenche ou renforce la logique du bouc émissaire. Par ailleurs, une même mécanique alimente le chahut, qui est une forme de harcèlement de l’enseignant par sa classe, et l’intimidation entre élèves. Quant au sexting, c’est une forme de cyberharcèlement particulièrement effrayante, qui nous oblige tous à nous interroger sur nos réflexes. C’est pourquoi toutes ces situations doivent être pensées en lien les unes avec les autres, tout en nécessitant des réponses spécifiques et cohérentes.
Le problème des enseignants chahutés est aussi abordé : quels conseils leur donneriez-vous ?
Le chahut, en dépossédant l’enseignant de sa capacité à encadrer sa classe, livre ce dernier mais aussi tous les élèves au règne de la violence. C’est pourquoi il nous paraît essentiel de s’interroger sur tout ce qui favorise son émergence et sur ce qui peut être fait pour l’éviter. Avant tout, il ne s’agit pas de la seule responsabilité de l’enseignant chahuté, mais bien d’une responsabilité collective. C’est pourquoi notre réflexion comme nos préconisations sont encore une fois systémiques, et impliquent les différents acteurs de l’institution : le niveau hiérarchique – inspecteurs, directeurs – qui devraient se donner pour mission d’apporter un soutien et un accompagnement efficace aux enseignants ; le niveau des collègues, qui devraient se montrer solidaires autour de l’enseignant chahuté ; le niveau des relations avec les parents d’élèves, qui peuvent représenter un soutien précieux ; enfin le niveau de l’enseignant lui-même qui a besoin d’apprendre à se construire une posture adaptée.
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