Dans le cadre de la protection de l'enfance, le mal-être des équipes éducatives peut avoir des répercussions sur les enfants et les familles qu’elles accompagnent.
La méthode développée par le psychologue Maximilien Bachelart éclaire les enjeux relationnels dans lesquels les professionnels se trouvent emportés et leur permet de retrouver une créativité à travers des stratégies thérapeutiques adaptées. S’appuyant sur son travail de supervision clinique, Maximilien Bachelart ouvre de nouvelles perspectives pour repenser les pratiques éducatives dans l’intérêt des enfants.
Son livre Révéler la créativité des équipes éducatives avec l'approche systémique propose aux professionnels de la protection de l’enfance des bases et des outils clés en main pour faire œuvre de créativité et redonner du sens à leurs pratiques. Dans cet entretien, il nous présente cette approche originale, décentrée et dynamique qui permet de conjuguer mieux-être professionnel et intérêt de l’enfant.
La défaillance de la protection de l'enfance est pointée du doigt depuis longtemps. Quelles en sont les raisons ?
La protection de l’enfance a deux objectifs : évaluer des situations (dangerosité, singularité, complexité, mais également les forces potentielles) et accompagner la possibilité d’un changement.
Or, de nombreuses situations sont évaluées, avec parfois peu d’outils, en se basant sur des impressions, un manque de repère permettant de statuer sur ce que l’on comprend du fonctionnement familial, de l’histoire du jeune et des problématiques amenant à l’intervention sociale. L’accompagnement est souvent quasi-impossible, l’évaluation étant vécue par les familles comme une stigmatisation. Or, ce qui importe n’est pas tant la situation que l’on pense parfois catastrophique, mais la possibilité d’amener l’organisation familiale à opérer des petits changements. Pour cela, il faut entrer dès le départ en relation dans cette optique et pas uniquement dans l’idée de faire l’état des lieux des « incompétences » ou « dysfonctions ». Et pour cela… il faut que l’équipe ou l’institution prenne le temps d’analyser en quoi elle ne permettrait pas à la famille d’évoluer et qu’elle se demande comment faire en sorte qu’elle puisse expérimenter un autre fonctionnement.
En quoi la systémie est-elle un levier pour aider les éducateurs dans le cadre de leurs missions ?
L’approche systémique est un ensemble de principes permettant de comprendre le fonctionnement d’un système, partant du principe qu’on appartient à plusieurs systèmes notamment familial, amical et professionnel... Ces principes permettent de comprendre ce qui ne permet pas à l’individu d’évoluer. Ainsi, des éducateurs qui prennent attache avec la famille découvrent par exemple des violences conjugales dont était témoin l’enfant. Ils comprennent alors pourquoi l’enfant est pointé du doigt comme agresseur à l’école. La systémie permet de s’interroger sur le mode relationnel transmis par les parents, qui l’ont peut-être eux-mêmes hérité de leurs propres parents… La systémie est dans une logique de compréhension large et tente de redonner le pouvoir à un système qui ne se pensait plus et ne faisait qu’agir : à travers des rituels, des habitudes, des secrets, des non-dits.
On peut forcer un enfant à parler, s’étonner qu’ils ne répondent pas, l’envoyer chez le psychologue et se sentir impuissant. On peut également comprendre par la suite qu’il se tait pour protéger son parent… L’approche systémique donne du corps au problème, peut permettre à l’équipe, non plus de forcer la disparition du problème mais d’être dans une visée compréhensive puis de se donner des objectifs de travail plus décalé que de « forcer la parole ». Un système est régi par des règles de fonctionnement : il cherche l’équilibre, peut parfois sacrifier une personne pour le bien commun, il peut désigner une personne comme responsable de tous les maux… il est préférable d'avoir connaissance de ces mécanismes pour proposer des actions justes : le bon levier au bon endroit.
Sans oublier que le professionnel appartient lui aussi à un système qui l’influence, ainsi que son équipe et son institution : il est pris dans des doubles contraintes et le système professionnel doit être interrogé face à un système familial. Ça n’est pas pour rien si une équipe oublie un jeune, si une équipe oublie d’appeler le père, si elle n’ose pas rencontrer les grands-parents ou aborder un traumatisme. Après avoir compris que nous sommes agis par les situations, la dernière étape est donc de penser comment nous « dansons » malgré nous avec ces familles.
Comment votre approche pousse-t-elle à la créativité des équipes ?
Ce qui m’intéresse particulièrement est de comprendre ce qui empêche la créativité d’émerger. Qu’est-ce qu’il se passe dans une rencontre : pourquoi je suis confiant avec untel et empêché de penser avec un autre. La créativité émerge quand on atteint un certain confort professionnel : il faut donc connaître la situation, s’autoriser à ne pas savoir, trouver les moyens de mettre en route les familles face à leurs difficultés, plutôt que de vouloir régler ce que nous pensons être leurs problèmes. Une fois ceci mis en place, l’intervenant a une vision des enjeux face à une famille, il sait ce qui ne fonctionnera pas. Le professionnel créatif ne perd plus de temps à vouloir aider les gens mais il possède des outils pour réfléchir avec eux. Les familles resteront le moteur du changement, le professionnel étant là pour impulser une dynamique. Mais pour ne pas renforcer le problème familial, il doit découvrir le fonctionnement de son propre système, celui de la famille puis au regard des enjeux qu’il découvre faire des propositions impliquant les personnes concernées. Le risque du travail éducatif est de se croire en soi thérapeutique. Nous sommes là pour rendre les clefs à ces familles et mettre en place un contexte favorable à des scénarios alternatifs.
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