Cette semaine sort en librairie la traduction française du livre de la psychologue américaine Monica McGoldrick, Genograms : Assessment and Treatment (4e éd., W. W. Norton & Company, 2020), co-écrit avec Randy Gerson et Sueli Petry. Texte de référence international sur l'utilisation du génogramme, il a été traduit de l'anglais par Christophe Brèthes, médecin gériatre, thérapeute familial et président de l'Association Systemoun.
Pour l'occasion, Christophe Brèthes retrace dans cet article le parcours de Monica McGoldrick et nous partage l'histoire de cet ouvrage clé pour tout professionnel de l'accompagnement. Un éclairage contextuel bienvenu qui met en perspective l'apport considérable des travaux de Monica McGoldrick pour la thérapie familiale qui conservent toute leur actualité.
Monica McGoldrick, dont paraît aux éditions ESF Sciences Humaines la quatrième édition du livre Le génogramme : principes et applications cliniques, est la plus grande figure historique de la thérapie familiale américaine encore en vie. Elle vient de fêter ses 80 ans. Issue de la deuxième génération, celle qui succéda aux pionniers du courant systémique des origines (Jay Haley, Salvador Minuchin, Murray Bowen, Virginia Satir, Carl Whitaker et d’autres), elle fut une touche-à-tout curieuse, inventive et celle qui contribua le plus à élargir la vision restrictive de la famille, centrée dans un premier temps sur le modèle dominant de l’homme occidental, de culture anglo-saxonne, protestant, de la classe moyenne. Monica McGoldrick se positionna ainsi, tout au long de sa carrière, comme la promotrice résolue d’une clinique de la diversité et du multiculturalisme. Pour chaque sujet qu’elle aborda, elle en tira des livres qui s’imposèrent comme des références (on citera par exemple The Expanding Family Life Cycle). Mais son livre le plus connu, traduit dans de nombreuses langues (l’espagnol, l’allemand, le portugais et le français) est son ouvrage séminal sur le génogramme, le classique incontournable que tous les étudiants en psychologie connaissent.
Sans doute faut-il voir dans cette œuvre riche et ouverte un miroir de la propre histoire de Monica McGoldrick. Ses racines sont irlandaises (ses ancêtres étaient originaires de Cork) et elle épousa un immigré grec. Elle naquit à Brooklyn, l’un des quartiers les plus cosmopolites du monde. Adolescente, Monica eut une passion littéraire pour l’écrivain Dostoïevski, raison pour laquelle elle eut à cœur d’apprendre le russe à l’université. Mais le contexte de la guerre froide ne permettait aucun débouché professionnel aux spécialistes de « la langue de l’ennemi », sauf à accepter de travailler pour la CIA.
Sur les conseils d’un ami, Monica bifurqua vers des études de psychologie, mais pour être certaine de choisir la bonne vocation, elle s’initia au métier de soignante dans un centre de santé mentale, sans aucun diplôme, et devint assistante en psychiatrie. C’est ainsi qu’elle prit contact pour la première fois avec des patients et des familles. Mais à la différence des psychologues qu’elle trouvait distants, parce qu’ils parlaient une langue incompréhensible, elle appréciait d’être au milieu de la bataille (« in the trenches »). Elle se forgea une conviction : « Families are the most relevant and interesting ». (« Les familles sont les plus pertinentes et les plus intéressantes. »)
Elle opta pour des études en sciences sociales et s’inscrivit au Smith College, dans le Massachusetts, puis elle croisa la route de Murray Bowen. Cela se passait en 1972. Travailler sur sa propre famille peut avoir un impact considérable sur une personne, y compris sur l’étudiant qui se destine à la thérapie familiale. C’est ce que proposait Bowen à celles et ceux qui suivaient son enseignement. Ils devaient utiliser le génogramme, qu’il nommait « diagramme familial ». Le premier génogramme de l’histoire, d’ailleurs, aurait été tracé par Bowen lui-même, lors d’une conférence prononcée en 1958. C’est ainsi que Monica McGoldrick, en se formant à ses côtés, prit l’habitude d’établir un génogramme dans chacun de ses dossiers. Elle eut l’intuition, dès le début, que cet instrument pouvait devenir un formidable levier pour la recherche. L’idée était de rassembler des données structurées sur les familles et d’en extraire des modèles, mais pour cela, il fallait s’aider de l’informatique.
Randy Gerson (coauteur avec Monica McGoldrick de la première édition du livre, aujourd’hui décédé) fut le premier à construire une version digitale du génogramme. Mais son logiciel n’était que graphique. Lui adjoindre une base de données serait bientôt nécessaire.
Au début des années 1980, les collègues de Monica la pressaient d’écrire un livre sur le sujet, mais elle pensait que c’était difficile, trop compliqué à rédiger, car un génogramme est une modélisation relativement complexe. Si ses exemples étaient trop abstraits, elle risquait de décourager ses lecteurs. Elle décida, pour se rassurer, de renforcer ses compétences en passant un PhD en Californie (au Fielding Institute). Cette université exigeait de suivre un enseignement obligatoire sur Freud, ce qui l’ennuyait, car elle l’avait déjà étudié. Elle eut alors l’idée de proposer de travailler sur ses théories à partir de son génogramme. Puis elle fit de même pour Jung, Adler et Karen Horney. Ce fut le déclic. S’initier au génogramme en se basant sur le vie de personnes célèbres était plus simple et surtout, susceptible d’éveiller l’intérêt des lecteurs. Ces derniers découvraient par ce biais les modèles familiaux de personnes connues et acquéraient dans le même temps des éléments de compréhension de l’approche systémique.
Après la parution de la première édition du livre en 1985, titré Genograms in Family Assessment (traduit en français en 1990, livre qu’elle dédia à Murray Bowen), Monica McGoldrick n’eut de cesse d’en perfectionner le contenu et d’en favoriser la diffusion. Le pari se révéla gagnant. Le génogramme devint l’outil systémique le plus employé à travers le monde.
Au regard de la vie de Monica McGoldrick, on peut affirmer que le génogramme fut son moteur pour s’épanouir, tant au plan personnel que professionnel. C’est à travers lui qu’elle s’intéressa aux cycles de vie, aux questions de genres, au racisme, à la migration, au problème du statut des femmes dans la société, et à tout ce qui touche à la diversité culturelle. C’est cette incroyable richesse qu’elle concentre dans ce chef-d’œuvre des sciences humaines, car le génogramme est holistique et embrasse tous les problèmes susceptibles d’être rencontrés en psychothérapie.
Ainsi, la grande force du livre réactualisé que publient aujourd’hui les éditions ESF Sciences Humaines est de mettre à jour des modèles, c’est-à-dire des configurations universelles qui génèrent des lois dans les relations familiales. C’est tout à fait comparable aux lois de la physique. Chaque famille est une constellation unique dans un ciel étoilé (ciel que l’on pourrait nommer le « genre humain »). Et le génogramme est le meilleur instrument de « l’astronome-thérapeute » pour en dessiner les contours.
Christophe Brèthes, traducteur du livre Le génogramme : principes et applications cliniques.
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