La pédagogie Freinet permet aux enfants, quel que soit leur âge, d’être acteurs, mais surtout auteurs de leurs apprentissages. C’est une pédagogie avant tout coopérative, aussi bien dans son élaboration et ses fondements que dans sa pratique.
Martine Boncourt, Sabine Firringeri, Nathalie Lozinguez, Valérie Pigeyre, Nathalie Ramas et Fabienne Bureau sont enseignantes Freinet depuis de nombreuses années et militantes du mouvement ICEM-Freinet. Dans leur livre La pédagogie Freinet en maternelle, comment faire ?, à paraître en librairie le 22 juin, elles donnent des pistes concrètes issues de leur expérience pour tenir un journal de classe, apprendre aux élèves à coopérer ou encore organiser l’emploi du temps d’une classe avec des enfants d’âges différents. Tous les dispositifs sont expliqués pas à pas et accompagnés de conseils et d’exemples, afin de les mettre en oeuvre facilement dans sa classe.
Pouvez-vous nous rappeler les principes de la pédagogie Freinet ?
La pédagogie Freinet partage avec la plupart des pédagogies dites « actives » les principes de coopération, de production, de communication, d’échange… Mais ce en quoi elle est tout à fait originale, c’est qu’elle est avant tout une pédagogie de l’autorisation, au sens premier du terme, lié au concept d’auteur. L’enfant est auteur de son travail : il en a choisi le sujet (revu, transformé, enrichi ensuite coopérativement par le groupe pour construire les apprentissages), mais il l’est aussi de ses processus mentaux toujours personnels. Cela suppose et engendre d’autres principes : l’expression du désir (« la puissance de vie », disait Freinet), la jubilation, la dévolution – le transfert à l’enfant des tâches qui incombent d’ordinaire au maître – et, liés à l’engagement délibéré de l’élève dans son travail, le tâtonnement expérimental, base de tout apprentissage naturel comme la marche ou le langage, et la sécurité, c’est-à-dire l’assurance de ne jamais être stigmatisé ou moqué à cause des chemins parfois hasardeux et peu productifs qu’il emprunte temporairement.
En quoi la pédagogie Freinet, conçue au début du XXe siècle, est-elle toujours d'actualité ?
Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, en son temps, on parlait de révolution copernicienne tant elle rompait avec la « scolastique » d’alors, c’est-à-dire avec l’enseignement frontal et répétitif qui éduquait à l’obéissance, même aux ordres les plus absurdes (comme en temps de guerre), peu enclins à réfléchir par eux-mêmes, peu confiants dans leurs propres compétences et dans leurs capacités de réflexion. Aujourd’hui, la pédagogie à l’école a certes évolué mais, dans les faits, on reste encore très attaché aux « bonnes vieilles méthodes », si bien que la pédagogie Freinet – avouons-le, peu pratiquée jusqu’à ce jour, pour de multiples raisons dont la principale est sans doute en rapport avec cet aphorisme : « le premier acte de résistance consiste à penser par soi-même » –, la pédagogie Freinet donc, continue de rester avant-gardiste. Même si certaines techniques perdurent, comme le texte libre ou le conseil de coopérative, d’autres, issues de nouvelles technologies (l’informatique notamment), y ont été intégrées. Sur le plan théorique, elle a su également prendre en compte les récentes avancées des sciences humaines et sociales (lesquelles d’ailleurs, confortent largement les découvertes du fondateur !).
En pratique, qu'est-ce qui différencie une classe Freinet des autres classes de maternelle ?
Les classes Freinet sont soumises aux mêmes conditions logistiques (locaux, effectifs, personnel, budget…) que toutes les classes de l’École publique. Chaque enseignant Freinet a évidemment sa sensibilité propre, son identité et sa façon de créer du lien avec ses élèves, mais ce qui se retrouve dans toutes les classes Freinet, c’est la place de l’enfant, le respect et la valeur de sa pensée et de sa parole. L’apprentissage est basé sur le tâtonnement expérimental (méthode naturelle), la prise en compte des rythmes individualisés et l’autonomie au service du travail coopératif. Dans les faits, la classe Freinet au travail est une ruche où chacun est engagé dans un projet personnel ou coopératif, où l’entraide est une valeur essentielle, où l’expression (écrite, orale, artistique…) est une force pour tous et l’occasion de développer des apprentissages qui font sens.
Au fil du livre, nous rappelons que tout enseignant du public est soumis aux programmes officiels en vigueur et que la pédagogie Freinet s'y inscrit nécessairement. De nombreuses références à ces instructions officielles jalonnent la présentation des pratiques et des techniques.
Concrètement, par quoi commencer quand on débute ?
Comme le souligne le témoignage des autrices au début du livre, les entrées en pédagogie Freinet sont multiples : Quoi de neuf, ateliers ou plan de travail, réunion coopérative ou encore texte libre... C’est surtout la posture de l’enseignant-e qui va évoluer, signe d’un cheminement vers la dévolution qui positionne l’enfant comme acteur et auteur pour lui-même et le groupe.
Célestin Freinet disait « Ne jamais lâcher les mains… sans avoir assuré les pieds » : l’enseignant qui souhaite se lancer doit lui aussi pourvoir s’inscrire dans un travail coopératif et se faire accompagner à l’occasion de stages ou de journées de co-formation.
En général, les enseignant-e-s commencent par la technique dans laquelle ils ou elles se sentent le plus à l’aise.
En introduction, vous insistez sur la notion d'accueil : « il ne s’agit pas seulement d’accueillir un enfant, mais aussi d’accueillir avec lui sa famille ». Qu'entendez-vous par là ?
L'accueil de l'enfant en tant qu'individu porteur d'une histoire familiale et d'une expression personnelle est une priorité en pédagogie Freinet. Connaître et comprendre son parcours permet à l'enseignant-e de maternelle d'évaluer ses besoins en temps réel : d'abord être rassuré (sécurité physique et affective) ; créer du lien avec les nouvelles personnes qui prendront soin de lui ; l'accompagner dans ses relations avec les pairs ; découvrir l'école (espace-temps, règles et possibles) ; l'aider à s'engager dans les activités d'où découleront de nouvelles compétences... L'enfant qui arrive à l'école pour la première fois est parfois entravé par les angoisses de ses parents qui projettent leur propre vécu scolaire qu’il s’agisse des apprentissages ou de la collectivité, qui ne sont pas prêts à le laisser grandir ou qui vivent des situations familiales complexes. C’est pourquoi les entretiens individuels de début de scolarité sont destinés à favoriser une découverte mutuelle (parents / enseignant-e) et à clarifier et dédramatiser le passage de cette nouvelle étape pour l’enfant. C'est le début d'une coéducation à parité d'estime (« qui reconnaît à chacun des partenaires une compétence spécifique complémentaire », cf. Catherine Hurtig-Delattre).
Qu'est-ce que la pratique de pédagogie Freinet peut apporter aux enfants, aux parents… et aux enseignants ?
Commençons par les enseignants, car tout part d’eux : ils y gagnent le plaisir de travailler « autrement », de sorte que chaque jour se distingue du précédent ; de rompre ainsi la monotonie créée par la répétition ; de constater l’intérêt grandissant des enfants pour des projets qui les intéressent, les motivent au plus profond ; de les voir grandir en émancipation, se libérer ainsi progressivement des déterminismes sociaux et des clichés de tous ordres. Et même si le choix pour les enseignants de travailler en pédagogie Freinet demande de l’énergie, du temps, de l’investissement, de la formation prise sur leur temps libre, très vite ils se rendent compte qu’ils ont tout à y gagner, autant au plan de leur satisfaction personnelle qu’à celui des résultats des enfants. Car oui, il faut le dire, la pédagogie Freinet est efficace ! Et cela, les parents le voient aussi. Comme ils se rendent vite compte qu’il est rare que leurs enfants aillent à l’école avec la boule au ventre, comme c’est si fréquent aujourd’hui…
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