Omniprésent à l’école, l’oral reste largement un impensé pédagogique : il ne suffit pas de donner la parole aux élèves pour qu’ils la prennent. Les enseignant constatent les problèmes de toutes et tous pour trouver le bon niveau de langue, développer une argumentation cohérente, participer à un débat serein et constructif.
Gwenaëlle Chambonnière, professeure de lettres modernes et formatrice dans l’académie de Créteil, aborde cette question de front dans son livre L'oral au cœur des apprentissages. Car l’oral est bien au programme de la maternelle à la terminale et dans toutes les disciplines. Il est un moyen d’expression indispensable et un outil d’élaboration de savoirs, une condition fondamentale d’inscription dans un collectif et un enjeu essentiel de formation à la citoyenneté.
Son livre est une présentation complète du rôle de l’oral et des modalités de son développement. Du dialogue au débat, de l’échange spontané à la lecture à haute voix, de l’exposé au conseil d’élèves, de la prise de parole improvisée à la confection d’une émission de radio scolaire… toutes les facettes de l’oral sont abordées avec, à chaque fois, de nombreux exemples, des propositions concrètes et des grilles d’évaluation. C'est un ouvrage fondamental pour que la formation à l’oral soit véritablement intégrée dans le quotidien scolaire, en interaction permanente avec l’apprentissage de l’écrit, et pour que chacun et chacune, dans un cadre sécurisé, puisse découvrir le vrai pouvoir de la parole.
Comment expliquez-vous que l'oral soit dévalorisé par rapport à l'écrit ?
C'est principalement dû à une méconnaissance de l'oral. On considère à tort que l'oral s'apprend en immersion, de manière spontanée, contrairement à l'écrit particulièrement investi à l'école. De plus, on envisage l'oral à l'aune de l'écrit : la différence des usages entre l'oral et l'écrit, qui s'inscrivent tous deux dans un même cadre syntaxique, est perçue en termes de valeurs et non d'emplois. Le brouillonnage de l'oral, avec ses reprises, ruptures et répétitions, signes d'une recherche de formulation, n'est pas admis à l'écrit et cela suffit à le dévaluer.
Cependant, depuis deux décennies, certains linguistes montrent que les grammaires ne décrivent la langue française qu'à partir de l'écrit et tendent à remettre en question les concepts utilisés pour que soit accordée une place également importante aux usages oraux.
Enfin, l'école a longtemps évincé l'oral au profit de l'écrit, par lequel se sont institutionnalisés les savoirs. Mais s'est opéré un changement de paradigme d'un savoir transmis par son dépositaire à un savoir construit par les élèves. L'oral s'est ainsi développé dans les classes, au risque de renforcer les inégalités s'il n'est pas mieux connu.
En quoi l'oral est-il essentiel dans les apprentissages ?
C'est par l'oral que se développe le raisonnement collectif et que s'élaborent les savoirs. Dans un travail de groupe, les élèves échangent, négocient, justifient, argumentent, mobilisent des connaissances pour résoudre la situation qui leur est présentée. C'est aussi par l'oral que le professeur questionne ou apporte l'étayage nécessaire. L'oral est un outil pour apprendre à la condition que l'on pense cette communication, que l'on enseigne les usages particuliers des disciplines et que l'on mette en place les démarches appropriées. L'oral est alors à la fois un moyen et une fin : en réfléchissant, en confrontant ses idées à celles de ses pairs, l'élève a recours à des actes langagiers variés qui lui permettent de progressivement mieux s'exprimer, y compris à l'écrit.
Outre les apprentissages disciplinaires, l'oral est le medium privilégié pour développer les compétences psycho-sociales (exprimer et réguler ses émotions, communiquer en ménageant l'autre, résoudre des conflits...) et développer la pensée critique, que cela relève de l'éducation aux médias, de la prise en compte de l'autre dans un débat ou d'une discussion à visée démocratique. Ici encore, il nous revient d'outiller les élèves pour faciliter cette communication et enrichir la réflexion.
Pourquoi préconisez-vous de travailler l'oral dans toutes les disciplines ?
En école élémentaire, les élèves travaillent le langage oral et l'écoute dans toutes les disciplines. Au collège a lieu une rupture : on tend à attribuer au français la charge d'enseigner une grande variété de modes d'expression. Or, chaque discipline a des attendus en termes de discours qui lui sont propres. Les professeurs de français n'enseignent pas aux élèves à produire une description scientifique. D'ailleurs, les genres scolaires comme l'exposé ou le débat sont différents d'une matière à l'autre : l'exposé sur un livre met en jeu la subjectivité de son auteur ou de son autrice, contrairement à l'exposé en SVT qui exige objectivité et neutralité. Il en va de même concernant le vocabulaire attendu, la structuration du propos, ou les actes langagiers. Les élèves n'apprennent pas par immersion : il faut non seulement éclairer ces attendus mais faire de l'oral un objet explicite d'apprentissage afin d'éviter de reléguer cet enseignement aux familles, à l'entourage de l'élève. Nous respectons ainsi un contrat essentiel : n'évaluer que ce qui a été réellement enseigné.
Comment intégrer l'enseignement de l'oral dans les disciplines autres que le français ou les langues vivantes ?
Favoriser le conflit socio-cognitif par des situations orales qui obligent les élèves à négocier et pour cela à avoir recours à des actes de langage divers (justifier, définir, réfuter, citer, reformuler...) est primordial, tout comme le travail sur les exigences de chaque discipline en termes de lexique, de logique, de discours. Pratiquer des formes d'oral variées et fréquentes permet de construire et/ou de remobiliser les savoirs autant que de s'exercer à répondre à ces genres formels : présenter un bilan à partir d'une carte mentale ou d'une affiche, intégrer les nouveaux savoirs dans un débat, produire une chronique ou une capsule vidéo sont autant de productions possibles. Pour développer les compétences d'écoute, la reformulation est fondamentale, que ce soit dans le cadre d'un débat en classe ou du compte-rendu d'une visite. Il est aussi possible de nourrir les élèves en vue d'une production par une documentation orale (chroniques, émissions radiophoniques …). C'est ainsi qu'à travers des activités régulières, de formes diverses, les enseignants et enseignantes construisent un enseignement réel de l'oral et des oraux et accompagnent la progression de leurs élèves afin de faire advenir des sujets locuteurs experts, plus à l'aise face à un auditoire. Ce n'est pas en Terminale qu'on prépare les élèves au Grand Oral mais tout au long de la scolarité, dans toutes les matières.
Vous consacrez tout un chapitre à l'écoute : comment peut-on enseigner l'écoute concrètement ?
Dans le cadre de l'apprentissage des compétences en compréhension orale, bien choisir ses supports, favoriser des conditions d'attention suffisantes et orienter l'écoute sur une cible forment les trois piliers. La démarche se fonde en trois étapes : la pré-écoute pour émettre des hypothèses, mobiliser des connaissances premières, l'écoute elle-même qui exige une grande attention, et la post-écoute pour vérifier les informations, les corriger. Cette dernière étape est l'occasion de faire émerger les stratégies efficaces que les élèves pourront s'approprier. Comme en compréhension écrite, les auditeurs et auditrices non-experts ont tendance à appliquer des stratégies vaines ; ils et elles veulent tout retenir ou concentrent leur attention sur des éléments connus qui sont pourtant secondaires. Enseigner les stratégies de compréhension orale s'avère donc essentiel.
Il est également nécessaire de développer l'écoute entre pairs par la reformulation systématique du propos par exemple. En ce but, il faut réfléchir aux conditions qui favoriseront une parole coopérative et mettre en place des activités variées (débat, discussion à visée démocratique ou philosophique, cercle d'oral...) plus ou moins longues, avec des rôles pré-définis. Quant à l'évaluation entre pairs, elle donne sens à l'écoute : l'élève à une fonction importante et tout en s'exerçant à percevoir chez l'autre les réussites et les manques, il ou elle comprend les attendus et devient plus à même de réguler sa production orale.
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