Bien plus qu’une simple question d’agencement des lieux et du mobilier, la classe flexibilisée implique de la part de l’enseignant une véritable réflexion sur sa posture, pour créer une organisation propice aux apprentissages. Flexibiliser la classe ne consiste pas seulement à permettre aux élèves de choisir la position dans laquelle ils se sentent le plus à l’aise pour travailler mais invite aussi l’enseignant à repenser l’emploi du temps, les modalités, les situations d’apprentissage et les contenus des cours pour tenir compte des besoins des élèves. Dans leur ouvrage Flexibiliser la classe (en librairie le 18 septembre), Andreea Capitanescu Benetti et Sylvie Grau proposent un guide complet et concret pour que chaque élève
puisse progresser à son rythme.
Comment définiriez-vous la classe flexibilisée ?
Il n’existe pas de définition unique, c’est une mise en œuvre actualisée et réactualisée par chaque professionnel. Par contre, on retrouve dans ces pratiques un dénominateur commun : la préoccupation de la prise en charge de tous les élèves et de leur parcours. Pour nous, une organisation du travail plus flexibilisée dans la classe consiste à la penser comme une opportunité qui permet autant que possible d’installer des conditions propices aux apprentissages pour tous les élèves. On ne sait que trop bien, par les recherches et par l’expérience professionnelle, que tous les élèves n’apprennent pas de la même manière ni au même rythme. Il s’agit non pas d’ajuster l’enseignement dans une individualisation à l’extrême mais bien de proposer une diversité de situations d’apprentissages aux élèves qui leur permette de choisir ce qui les aide au mieux à progresser. Cette organisation concerne autant les lieux, les temps, le matériel, les supports que les consignes et les contenus du curriculum. Chaque contexte est différent, ce qui compte, ce sont les principes sous-jacents : une ouverture de possibles et une formation des élèves au choix pour mieux se connaître et mieux appréhender les apprentissages.
Quels sont les principaux avantages pour les élèves ?
Les principaux avantages sont en lien avec la progression des apprentissages. Tous les élèves ne travaillent pas les mêmes tâches au même moment. Les praticiens se saisissent de cette organisation pour enseigner et accompagner l’élève non pas par rapport à une norme mais bien par rapport à son propre parcours. Certains enseignants mettent en place des outils pour que les élèves « apprennent à apprendre ». L’élève apprend progressivement ce qui l’aide et ce qui l’empêche dans les apprentissages. Le but est qu’il devienne acteur principal de ses apprentissages, et qu’il s’engage plus volontiers dans les tâches scolaires. Dans les témoignages de cet ouvrage, les enseignants disent qu’ils peuvent alors intervenir de manière plus efficace et ciblée auprès des élèves qui en ont besoin, leurs interactions avec les élèves leur semblent plus fécondes du point de vue des apprentissages. Ces organisations permettent de donner plus de temps aux élèves pour acquérir les notions, concepts, raisonnements enseignés et la possibilité de reprises. Les enseignants témoignent que le temps d’entraînement est augmenté et leurs feedbacks sont plus ciblés et immédiats.
Pouvez-vous expliquer l'importance de l'aménagement spatial en classe ?
Le rôle du corps dans l’apprentissage a longtemps été négligé alors même qu’on sait que l’attention, la concentration, sont largement dépendantes de la fatigue physique. Les enseignants considèrent l’aménagement des espaces comme un élément laissant le libre choix à l’élève afin qu’il exécute les tâches attendues dans des conditions favorables que ce soit au niveau de la posture physique ou des modalités plus flexibles comme le travail individuel ou par groupe, dans et hors des murs de la classe. Par ailleurs l’aménagement des espaces permet aussi une meilleure structuration des savoirs, une meilleure reconnaissance des tâches attendues, une plus grande coopération, une diversité des médiations vers l’acquisition des savoirs scolaires (supports, lieux, interactions, projets etc.). Ce n’est pas tant les aménagements ou le mobilier qui compte, mais bien la priorité de ce qui peut être fécond au niveau des apprentissages. Les enseignants du premier degré ont toujours été créatifs en ce qui concerne les aménagements, ils savent « bricoler » un environnement tout aussi accueillant qu’opérationnel. Certaines situations d’apprentissage nécessitent des supports matériels qui demandent un lourd travail de sorte que les élèves puissent l’utiliser en situation et de manière parfois autonome. La lisibilité de l’organisation est un enjeu fort pour que les élèves soient autonomes et suppose donc une codification matérielle visible, flexible et accessible pour permettre la fluidité et l’explicitation des tâches et des connaissances à mobiliser pour les réaliser.
Comment les enseignants peuvent-ils intégrer progressivement la flexibilité dans leur pratique ? Quels conseils donneriez-vous pour débuter ?
Le premier conseil est d’échanger avec des collègues, c’est pour cela que nous avons pensé cet ouvrage. Il s’agit de converser et contre-verser (controverser !) les pratiques pédagogiques entre professionnels et chercheurs. Le second est de changer les choses progressivement et s’observer soi-même au travail et observer les élèves au sein du travail scolaire pour mieux se connaître et mieux les connaître. Il s’agit de comprendre les effets sur les apprentissages des élèves et accepter que les résultats ne soient pas immédiats : aménager un « coin » spécifique, mettre du matériel à disposition, concevoir un plan de travail sur une plage dédiée dans la semaine etc. L’objectif est de ne pas se retrouver avec une surcharge ingérable ou une « usine à gaz » de travail de préparation et de se donner du temps pour analyser les effets des modifications. Les professionnels témoignent d’un travail mené sur de longues années qui est toujours sur le métier.
Y a-t-il des écueils à éviter ou des points de vigilance à prendre en compte avant de se lancer dans la mise en place d'une classe avec une organisation plus flexibilisée ?
L’écueil principal serait de modifier l’organisation matérielle de la classe sans modifier les situations d’enseignement-apprentissage. Si le contenu d’une séance n’est pas didactiquement pensé et pertinent, le seul aménagement flexible ne peut pas améliorer les apprentissages. Une telle organisation n’a pas comme seule priorité le bienêtre des élèves, bienêtre qui est cependant important, mais elle devrait multiplier les situations d’enseignement-apprentissage pour favoriser autant que possible la différenciation pédagogique. Il s’agit d’une sécurisation au niveau cognitif tout autant qu’au niveau affectif. Le second serait de penser que les élèves peuvent s’approprier ces nouvelles modalités sans un enseignement et un accompagnement pédagogique et didactique des enseignants. Il faut apprendre aux élèves à choisir, à travailler ensemble, à demander de l’aide etc. Pour les professionnels il s’agit de développer les gestes d’étayage et de bien penser ce qu’il s’agit d’outiller la dévolution aux élèves et le moment et la nature des explicitations nécessaires au cours de l’apprentissage pour rendre possible cette dévolution.
La flexibilité peut-elle s'appliquer à tous les niveaux scolaires ? Comment l'adapter aux différents niveaux ?
La flexibilité s’applique à tous les niveaux scolaires, elle est cependant plus facile au 1er degré du fait que l’enseignant est dans un même lieu toute la semaine et que sa polyvalence lui permet d’ajuster sans contraintes horaires ou d’incohérence des contenus. Plus l’organisation institutionnelle est cadrante, moins elle permet cette flexibilité, c’est alors au niveau des établissements qu’il s’agit de donner la possibilité de flexibiliser la classe, en particulier pour ce qui concerne l’organisation des équipes pédagogiques, l’attribution des locaux scolaires et la mise en place des emplois du temps (par exemple au secondaire en France). Mais flexibiliser ne signifie pas ne pas avoir de cadre, cela signifie que le cadre est construit avec des objectifs clairement exprimés et non imposés. Au secondaire et au supérieur, la flexibilisation de l’organisation n’est pas pensée au niveau structurel contrairement à certains pays nordiques. Certains témoignages de l’ouvrage permettent cependant de montrer des pratiques qui cherchent à dépasser les contraintes institutionnelles au travers de projets individuels ou collectifs. On constate aussi des efforts au niveau de l’architecture scolaire et de l’équipement qui invitent à penser autrement les situations d’apprentissage au sein des établissements par la mise à disposition d’espaces flexibles, de tableaux muraux, d’assises variées, etc.
Comment la classe avec une organisation plus flexibilisée peut-elle répondre à l'hétérogénéité des élèves et contribuer à une école plus inclusive ?
L’école inclusive se montre incompatible avec une école normative où tout le monde fait la même chose au même moment. Accepter qu’un élève puisse bénéficier de conditions différentes pour apprendre suppose d’arrêter de penser une évaluation normative. Par la diversité organisationnelle, les enseignants témoignant dans cet ouvrage tentent de développer la confiance en l’élève, en son potentiel d’apprentissage et de progrès. Dès lors, faire classe c’est arrêter de penser que tout repose sur les épaules de l’enseignant pour saisir les multiples dimensions de la classe de manière systémique. Sans être une solution miracle, la classe plus flexibilisée devrait permettre à l’enseignant de constituer une communauté où chacun peut être amené à proposer, décider, entreprendre, aider etc. Il peut alors être plus disponible pour accompagner chaque élève et s’autoriser à imaginer de nouvelles solutions. Toujours dans l’idée d’ouvrir des opportunités d’apprendre, flexibiliser la classe c’est penser en « et si… ? », tester, expérimenter, faire et défaire, imaginer et recomposer, réfléchir sa classe, faire preuve de réflexivité sur ses décisions pédagogiques et didactiques, etc. Dans l’écologie de la classe et compte-tenu des contraintes institutionnelles et des cultures des établissements, nous observons que les enseignants témoignent de l’exercice d’un certain pouvoir d’agir dans la mise en place d’une organisation du travail scolaire plus flexibilisée.
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