Patrick Obertelli est professeur émérite Centrale Supélec Université Paris-Saclay, chercheur au laboratoire Formations et apprentissage professionnel du Cnam, et membre de la Commission des titres d’ingénieur. Il a dirigé la publication de l'ouvrage Restaurer le lien social en situations extrêmes qui explore les ressorts essentiels pour soutenir ou restaurer le lien social dans des situations particulièrement critiques, qu’il s’agisse du vécu d’une catastrophe ou d’un parcours en fin de vie.
Face à de telles épreuves, comment aider les personnes à faire ou à refaire société, à retrouver leur place dans la communauté humaine quand le lien social est profondément altéré, que le sentiment d’identité est fragilisé à l’extrême ? Pour y répondre, les auteurs tous experts reconnus, s’appuient sur des cas concrets auxquels ils ont dû faire face. Donner des repères pour pouvoir se questionner, penser, agir, telle est l’ambition de cet ouvrage de façon à éviter les conduites de ruptures sociales que les dysfonctionnements de nos sociétés ont tendance à favoriser.
Quel est le but de l’ouvrage ?
Il s’agit d’aider à penser et agir face à des situations sociales extrêmes, que ce soient des catastrophes ou la fin de vie. Il s’agit de comprendre l’impact psychique et social de ces situations pour les victimes et leur entourage, ainsi que d’identifier les pratiques d’accompagnements pour les aider.
De quelles catastrophes s’agit-il ?
Ce sont des situations de haute intensité émotionnelle, des accidents graves, par exemple un incendie, un accident d’avion, des catastrophes d’origine technologique ou environnementales, ou encore des actes de terrorisme.
À qui s’adresse votre ouvrage ?
Le livre s’adresse en première intention aux professionnels de l’intervention dans ces situations. Concernant les catastrophes et les crises majeures, ce sont les sapeurs-pompiers de métiers ou sapeurs-pompiers volontaires, et les professionnels qui accompagnent les personnes en grande difficulté, à savoir les médecins, les psychologues et les psychiatres. Ce sont aussi les juristes, la justice étant un support majeur pour rétablir la confiance des citoyens dans le fait que la société peut les protéger. Les médecins et psychologues au contact des personnes en fin de vie, et plus particulièrement ceux en charge de soins palliatifs, sont aussi les premiers destinataires de l’ouvrage.
En seconde intention, ce livre peut être utile aux citoyens susceptibles de vivre de telles situations à l’avenir, c’est-à-dire beaucoup de monde, car les crises notamment environnementales font et feront partie de façon conséquente du vécu de chacun, et il en est de même pour l’accompagnement de proches en fin de vie.
Le titre de l’ouvrage évoque la « restauration » du lien social. En quoi ce lien est-il rompu chez les personnes touchées par ces types d’événements ?
L’altération profonde du lien social est profonde, pouvant aller jusqu’à un arrachement de la communauté humaine. Un temps suspendu avec répétition d’un vécu traumatique ou impossibilité de projection dans le futur est fréquemment au cœur de la problématique, et le sentiment d’identité personnelle tend à se rétracter à un statut de victime.
Quels sont, d’après vous, les principes directeurs qui permettent une action efficace dans les situations de crise ?
Les situations envisagées sont complexes, et la meilleure façon d’appréhender et de comprendre la complexité est de s’appuyer sur nombre de situations que les auteurs ont eues à gérer. Chacune de ces situations nécessite une capacité collective à s’adapter à l’imprévu. Ceci est rendu possible par l’expertise des intervenants, le fait de poser de cadres opérationnels et un cadre juridique clair, de penser et agir collectivement, de faire preuve de solidarité. Il s’agit aussi, fondamentalement, d’une capacité de présence et d’écoute sans faille dans la prise en charge des victimes et de leurs proches.
Comment l’action judiciaire peut-elle aussi jouer un rôle réparateur sur le plan psychosocial ?
L’action judiciaire a plusieurs fonctions. Au-delà de la réparation d’un préjudice économique, l’aspect psychologique est d’importance. Elle signale à la victime que celle-ci peut avoir confiance dans la société, que son institution judiciaire la protège. C’est un enjeu de réinsertion dans la société.
Quel accompagnement psychologique préconisez-vous pour les personnes traumatisées ?
La présence, être là pour permettre à la victime de renouer avec autrui, de se réintégrer dans la société, être à l’écoute est primordial.
Des méthodes techniques peuvent être des traitements superficiels, mais pour un travail en profondeur il faut une approche clinique qui situe son action au cœur de la relation. Celle-ci relève d’une éthique de l’humain.
Comment peut-on, concrètement, se préparer pour faire face aux situations extrêmes ?
Pour les professionnels, une solide formation est indispensable, et l’expérience professionnelle renforce les compétences au fil des interventions. Il leur est également nécessaire d’avoir fait un travail personnel de recul par rapport à leur propre ressenti face à la mort ou aux risques mortels, de façon à leur permette d’être centrés sur les situations et les victimes sans être débordés par leurs émotions.
Pour les gestions de crises, les organisations sociales, municipalités, entreprises, institutions, développent progressivement des dispositifs de gestion de crise et des entraînements adaptés.
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