Près d’un enfant sur dix est confronté à un trouble Dys et un sur vingt à un TDAH : dyslexie, dyspraxie, dysphasie, dyscalculie, trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité… À quoi correspondent ces troubles ? Comment distinguer un élève en difficulté d’un élève Dys ou TDAH ? Comment les soutenir dans leurs apprentissages ?
Isabelle Ducos-Filippi est professeure de lettres classiques et enseignante spécialisée, titulaire du CAPPEI. Elle est également formatrice dans l’académie de Créteil. Spécialiste des troubles spécifiques du langage et des apprentissages, elle apporte son expertise depuis plus de dix ans en formation et conseil auprès de tous les acteurs de la communauté éducative ainsi que des familles. Elle est l'autrice du livre Accompagner les élèves DYS et TDAH, c'est possible ! dont une nouvelle édition vient de paraître.
À travers cet ouvrage, elle répond aux questions que se posent les enseignants de manière précise, concrète et pragmatique. Elle propose des outils et adaptations pédagogiques réalistes pour chaque type de difficulté
Depuis la première édition de votre ouvrage en 2021, comment la compréhension et la prise en charge des troubles spécifique du langage et des apprentissages (TSLA) à l’école ont-elles évolué ?
L’école inclusive s’est affirmée comme priorité nationale, avec la parution de la Nouvelle Stratégie Nationale 2023-2027 pour les troubles du neurodéveloppement : autisme, Dys, TDAH, TDI. On note une meilleure reconnaissance du TDAH et des troubles associés, grâce à des recommandations nationales harmonisées.
Aussi, les enseignants disposent aujourd’hui de ressources institutionnelles plus structurées : guides académiques, plateformes dédiées aux troubles du neurodéveloppement (TND), documents d’aide au repérage et à la mise en œuvre des plans d’accompagnement personnalisé (PAP) et des projets personnalisés de scolarisation (PPS). La formation initiale et continue accorde une place croissante à l’accessibilité pédagogique et à la collaboration interprofessionnelle. Les pôles d’appui à la scolarité (PAS) ou les équipes ressources locales facilitent la coordination entre école, santé et médico-social.
Enfin, la culture professionnelle a évolué : le regard porté sur les élèves DYS s’est déplacé de la « difficulté » à la « singularité », dans une logique de parcours et non de déficience. Malgré ces progrès, il reste un fort besoin de formation, de temps et d’outils concrets pour garantir une véritable équité d’apprentissage.
Quelles sont les différents types de TSLA et quelles difficultés particulières engendrent-ils ?
Les troubles spécifique du langage et des apprentissage regroupent plusieurs troubles neurodéveloppementaux spécifiques, souvent intriqués :
Ces troubles entraînent des répercussions multiples : lenteur d’exécution, erreurs récurrentes, surcharge cognitive, perte de confiance, isolement. Leur reconnaissance précoce permet d’éviter que l’élève ne s’installe dans l’échec. Les troubles sont souvent combinés, ce qui nécessite une approche globale et concertée entre enseignants, famille et professionnels.
Vous identifiez trois facteurs incontournables pour un accompagnement de qualité des élèves concernés, quels sont-ils ?
Les piliers qui garantissent la qualité de l’accompagnement sont le repérage et le diagnostique précoces d'abord : observer les signes persistants (lenteur, incompréhension, confusion entre sons, désorganisation), les documenter et orienter vers les bilans adaptés. Plus le diagnostic est posé tôt, plus les interventions sont efficaces. Ensuite vient la mise en œuvre pédagogique : différencier les supports, les consignes, les évaluations et l’organisation du travail. Ces aménagements ne doivent pas « faciliter » mais rendre l’apprentissage accessible. Enfin, il y a la coopération école-famille-soins : dialogue constant entre enseignants, parents, AESH, orthophonistes, psychologues, médecins scolaires. Cette co-construction évite les contradictions et soutient la cohérence des pratiques.
Ces trois facteurs sont interdépendants : un repérage sans adaptation reste inefficace et une adaptation sans coordination est instable. L’école doit devenir un lieu d’ajustement permanent, capable de reconnaître les besoins spécifiques sans stigmatiser.
Pouvez-vous partager quelques exemples concrets de pratiques ou d’adaptations pédagogiques efficaces que vous avez mis en place ?
Les adaptations pédagogiques gagnent en pertinence lorsqu’elles sont simples, visibles et partagées. Parmi les plus efficaces que j'ai pu tester, il y a :
Ces aménagements, intégrés dans un PAP ou PPS, sont plus efficaces lorsqu’ils reposent sur une pédagogie explicite et une bienveillance constante.
Qu'est-ce qu'une classe « dysaccueillante » selon vous ?
La classe « dys-accueillante » repose sur l’accessibilité de l’enseignement et de l’apprentissage. Elle anticipe les obstacles : elle propose des repères visuels, une organisation claire, un climat bienveillant et des outils de compensation assumés (ordinateur, carte mentale, lecture à voix haute, etc.). L’enseignant adopte une posture d’accompagnant, valorise l’effort plutôt que le résultat et soutient la coopération plutôt que la compétition. L’inclusion réussie repose sur la culture d’équipe : chacun contribue à rendre la classe accessible sans isoler l’élève concerné.
Concernant les évaluations, quels sont les aménagements possibles et leurs limites ?
L’évaluation doit mesurer les compétences réelles, pas les effets du trouble. D’où l’importance des aménagements : temps majoré, lecture de consignes, passation orale, autorisation d’outils numériques ou de schémas de réponse simplifiés... L’élève peut être évalué à l’oral plutôt qu’à l’écrit, ou par étapes courtes plutôt qu’une épreuve longue. Les QCM ou réponses à choix limités peuvent aussi être pertinents. Toutefois, l’évaluation aménagée doit rester fidèle à l’objectif : on n’adapte pas la compétence elle-même (par exemple, l’orthographe si c’est l’objet d’évaluation). Les aménagements sont donc pensés en cohérence avec les apprentissages et inscrits dans le PAP ou le PPS. Les examens officiels suivent des procédures strictes pour garantir équité et validité. Les limites tiennent au risque de surcompensation ou de confusion entre adaptation et allègement : adapter ne veut pas dire abaisser les exigences, mais permettre à l’élève de montrer ce qu’il sait réellement.
Que faire en cas de suspicion de trouble(s) chez un élève ?
Face à un élève qui accumule les difficultés sans progrès malgré les aides habituelles, l’enseignant doit d’abord observer et documenter précisément les manifestations : erreurs typiques, lenteur, confusions, fatigabilité, manque de compréhension. Ensuite, il informe la famille dans une démarche bienveillante et concertée. L’objectif n’est pas d’étiqueter, mais de comprendre. On peut alors proposer des adaptations provisoires (consignes reformulées, supports allégés) pour vérifier leur efficacité. Si les difficultés persistent, le médecin scolaire peut orienter vers un bilan orthophonique, neuropsychologique ou psychomoteur. Les conclusions de ces bilans permettent de formaliser un PAP (plan d’accompagnement personnalisé) ou, si le handicap est reconnu, un PPS (projet personnalisé de scolarisation) avec éventuellement un appui d’AESH. Tout au long du processus, la coordination est essentielle : chaque acteur (enseignant, parents, professionnels de santé) doit partager ses observations pour construire un plan cohérent. L’attitude de l’école doit rester ouverte, non jugeante et centrée sur les besoins.
Comment les enseignants peuvent-ils collaborer avec les parents, les AESH et les professionnels de santé pour mieux accompagner ces élèves ?
Une collaboration efficace repose sur la confiance et la clarté. L’enseignant communique régulièrement avec la famille, explique les adaptations mises en place et recueille les retours. Les réunions PAP ou PPS permettent de faire le point sur les réussites et les ajustements nécessaires. L’AESH, en lien direct avec l’élève, transmet des observations précieuses : stratégies d’autonomie, comportements en classe, points de fatigue. Les professionnels de santé (orthophonistes, psychomotriciens, neuropsychologues) apportent leur expertise et peuvent proposer des pistes concrètes à intégrer dans la pratique pédagogique. Chacun doit connaître son rôle : l’enseignant n’est pas thérapeute, le professionnel de santé n’est pas pédagogue, mais leurs actions se complètent. L’échange de documents, de supports et de bilans partagés facilite la cohérence. De plus, les pôles d’appui à la scolarité (PAS) ou les équipes mobiles d’appui (EMA) soutiennent désormais les écoles dans cette coopération. Une collaboration réussie crée un langage commun autour des besoins de l’élève et favorise la continuité entre les différents lieux d’apprentissage.
Pourquoi est-il aussi nécessaire de travailler l'estime de soi des élèves DYS et TDAH ?
Les élèves présentant des TSLA ou un TDAH subissent souvent des échecs répétés, des remarques négatives ou des comparaisons blessantes. Ces expériences fragilisent leur image d’eux-mêmes et réduisent leur envie d’apprendre. Travailler l’estime de soi, c’est restaurer la confiance en la possibilité de réussir autrement. Cela passe par la valorisation des progrès, la reconnaissance des efforts, la mise en avant des points forts (créativité, mémoire visuelle, raisonnement oral…). Les activités de coopération et les objectifs atteignables renforcent le sentiment de compétence. Les enseignants peuvent utiliser des outils de métacognition pour aider l’élève à identifier ce qui fonctionne pour lui. L’estime de soi se nourrit également du climat de classe : respect, encouragement, droit à l’erreur, absence de moquerie. Pour les élèves TDAH, la régulation émotionnelle et la valorisation des réussites comportementales sont essentielles. En travaillant sur la confiance et la reconnaissance des réussites, on améliore non seulement les apprentissages, mais aussi la motivation, la persévérance et le bien-être général.
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