Rapprocher les enfants de la nature est essentiel pour leur épanouissement mais aussi pour notre société. Les initiatives pour faire l'école dehors se multiplient actuellement. Mais comment faire concrètement ?
Nathalie Roux montre qu'apprendre de la nature et par la nature est possible dans n'importe quel environnement, à la campagne comme à la ville. Cette enseignante en classe multiâge s'est intéressée très tôt aux apprentissages grâce à la nature, jusqu’à faire l’école dehors une fois par semaine. Dans son livre À l'école de la nature, on sort !, elle présente 50 activités adaptées aux programmes de l'Éducation nationale pour construire une année en plein air ou piocher des activités ponctuelles au fil des saisons.
À l'occasion de la parution de son livre, elle répond à nos questions sur cette pratique en plein essor :
Pourquoi, jusqu'à très récemment, la nature et les apprentissages dehors n'avaient pas leur place dans le système éducatif français ?
L'école reflète, me semble-t-il, ce qui se vit dans la société. L'exode rural et la montée en puissance de notre société de consommation nous ont conduit à penser que notre accomplissement personnel se trouvait dans la réussite professionnelle, vecteur de notre pouvoir d'achat. Aujourd'hui, c'est l'éventuelle sensation d'une impasse dans cette quête qui nous amène à vouloir revivre plus simplement et plus relié à l'essentiel. Notre rencontre avec la nature apparaît alors capable de nous reconnecter avec une certaine authenticité. Forte de ce constat, l'école se sent peut-être légitimement en charge de créer une relation entre l'enfant et son environnement pour lui offrir un apaisement propice aux apprentissages.
Par ailleurs, l'enseignement hors sol a montré ses limites pour des élèves qui ont besoin de trouver une connexion au réel pour donner plus de sens à leur scolarité. L'école dehors peut permettre d'assurer ce lien concret et des enseignants semblent être intéressés pour explorer ces pistes.
Enfin, depuis 2020 et la crise sanitaire, l'école dehors est valorisée par l'Éducation nationale pour éviter la propagation du virus dans des espaces clos, densément peuplés !
Faire l'école dehors peut susciter des appréhensions. Comment répondre aux inquiétudes des enseignants ?
Une des principales appréhensions peut être liée à la gestion de ses élèves hors d'un espace clos et sécurisé. Et, en effet, pour amener sa classe dehors, il est indispensable au préalable, d'avoir assuré un cadrage explicite sur les attentes de l'enseignant, les règles de sécurité et les sanctions envisagées en cas de non respect. Mais, une fois ce cadre posé, on constate que les élèves sont beaucoup plus apaisés dehors, et plus motivés pour s'auto-discipliner. Cette année, avec une classe plus difficile que les autres, je constate moins de comportements irrespectueux en classe dehors qu'entre quatre murs. J'explique aux élèves que j'ai besoin de pouvoir leur faire confiance et qu'après trois manquements au respect des règles, ils ne participeront pas à la prochaine sortie. Ceux qui ont besoin de tester les limites le font une seule fois en général !
Une des autres difficultés consiste à se former sur certaines connaissances naturalistes d'une part et à imaginer les notions scolaires à enseigner en lien avec le dehors. Pour l'instant, ces temps de formation sont généralement pris sur du temps privé et cela peut être un frein pour les enseignants intéressés par cette pratique.
Comment convaincre sa hiérarchie, ses collègues ou les parents d'élèves réticents ?
Par rapport à notre hiérarchie, le contexte sanitaire actuel est plutôt favorable à la mise en place de cet enseignement dehors. Par ailleurs, l'urgence écologique qui est la nôtre fait partie des questions socialement vives dont l'institution nous demande de nous saisir et la modification des programmes en juillet 2020 va dans ce sens. Donc, en toute logique, faire l'école dehors devrait pouvoir être accompagné par notre hiérarchie. Dans notre école, nous avons la chance de trouver un grand soutien de notre inspecteur pour cette pratique.
Au sein de l'école, j'ai là aussi la chance d'avoir une collègue tout à fait partante pour faire l'école dehors, avec sa classe : nous avons mené des projets ensemble, échangé sur nos pratiques et participé à la recherche action nationale « Grandir avec la nature » qui nous a beaucoup aidée. Quelque soit la pédagogie explorée, il n'est jamais envisageable de forcer qui que ce soit à appliquer telle ou telle façon d'enseigner. On enseigne comme on est. Par contre, face à des collègues intéressés par la pratique mais inquiets, il est tout à fait possible de mettre en place des sorties en binômes pour gérer le groupe à deux.
Avec les parents d'élèves, il est profitable de mettre ce sujet à l'ordre du jour de la première réunion en début d'année pour expliciter ce choix pédagogique. Leur proposer d'être accompagnateur est certainement plus parlant que de longs discours. En général, ils vous disent qu'ils auraient beaucoup aimé vivre cette école dehors enfant ! Pour ceux qui ne sont pas touchés par la démarche, leur position est à respecter. Nous n'avons pas à les convaincre, pas plus qu'ils n'ont à s'opposer à ce choix pédagogique.
On connaît les bénéfices pour la santé physique et mentale des enfants. Quels sont les avantages pour les professeurs ?
Se régaler ! Retrouver le sens de ce qui nous a donné envie de faire ce métier en prenant plaisir à enseigner à des élèves qui ont envie d'apprendre.
C'est d'abord la qualité de la relation aux élèves qui émerge : tout enseignant qui est parti en classe de découverte sait le bénéfice de pouvoir partager des moments qui vont nourrir une relation de confiance mutuelle en découvrant nos élèves sous un autre jour. La relation pédagogique se trouvera alors enrichie par ce vécu. À l'école dehors, c'est cet élève qui va se confier sur ses difficultés nous permettant de mieux l'accompagner ensuite, celui-là qui va se révéler un moteur pour le groupe alors qu'il est plus timide en classe ou encore tel autre qui va tout à coup se montrer passionné par une notion. Avoir l'occasion d'être émerveillé par nos élèves est vivifiant ! Cela permet de mieux vivre après certaines difficultés du métier.
Ensuite, être dehors est une source d'apaisement, de ressourcement, pour tout ceux qui sont sensibles à la nature.
Enfin, l'enseignant peut apprécier de revenir au cœur de son enseignement en l'incarnant dans le réel. Les notions enseignées prennent corps.
Que peut-on faire lorsqu'on enseigne en zone urbaine, dans une école peu – voire pas – végétalisée ?
Beaucoup de choses ! Se reconnecter au dehors, c'est remarquer cet arbre à côté de l'école, ces herbes folles qui poussent dans la rue, ces oiseaux qui se rassemblent sur les fils électriques avant leur départ en voyage migratoire. On peut développer cette acuité visuelle dans nos relations avec notre environnement et en tirer ensuite le fil des apprentissages. L'observation fine de l'arbre enseignera par exemple les saisons, les plantes de la rue, le cycle du vivant, les oiseaux, la migration et le comportement des animaux l'hiver. Il est aussi possible d'envisager des sorties dans des parcs publics : prendre le bus pour rejoindre ces îlots de nature au sein des villes est une bouffée d'oxygène. Je me souviens, lorsque j'enseignais en zone d'éducation prioritaire d'une balade au cours de laquelle nous avions vu du romarin : les élèves s'en étaient fait une tisane en rentrant chez eux....que certains n'avaient pas du tout aimé d'ailleurs ! Mais la brèche sur l'enseignement de la préhistoire et des chasseurs cueilleurs était ouverte !
Enfin, des projets de plus grande envergure peuvent être initiés dans la cour de l'école : cultiver dans des bacs, retrouver de la terre en enlevant du bitume dans un espace défini, mettre en place un carré de la biodiversité dans lequel on laisse monter l'herbe et ce sont des récréations entières qui s'animent d'observations naturalistes.
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