La question de l'autorité est redevenue d'actualité suite aux récentes agressions commises dans et aux abords des établissements scolaires.
Le problème n'est pourtant pas nouveau : selon la dernière enquête Pisa 2022, la moitié des élèves en France déplorent le bruit et le désordre en cours. Parallèlement, près d’un enseignant sur 2 reconnait avoir vu son enseignement contesté et près d’un tiers avoir été moqué ou insulté. Des chiffres glaçants qui montrent la difficulté pour les élèves comme pour leurs professeurs d’apprendre dans de bonnes conditions.
Jean-Pierre Bellon est professeur de philosophie et pionnier en France de la lutte contre le harcèlement scolaire. Co-fondateur du Centre ReSIS et membre du comité d’experts contre le harcèlement au sein du ministère de l’Éducation nationale, il est auteur des ouvrages Harcèlement scolaire : le vaincre, c'est possible, Harcèlement et cyberharcèlement, Les blessures de l'école et Se former en équipe à la lutte contre le harcèlement scolaire.
Son nouveau livre à paraître le 16 mai prochain s'intitule Renouer avec l'autorité à l'école. Dans cet essai court et incisif qui lève le tabou du chahut en classe, Jean-Pierre Bellon propose 10 mesures concrètes et efficaces pour que le calme revienne dans les classes.
Entretien initialement publié dans le bulletin d'information du Centre ReSIS (avril 2024)
Pourquoi faudrait-il renouer avec l’autorité à l’école ?
Des enquêtes récentes ont montré que la vie des classes était bien loin d’être paisible, PISA 2022 montre que près d’un lycéen sur deux considère qu’il ne peut pas entendre ce que dit le professeur tant les bavardages sont importants. Y a-t-il de pire injustice pour un élève que de ne pas pouvoir étudier en paix ? Du côté des professeurs, on remarque qu’un enseignant sur quatre déclare avoir été moqué ou insulté, un sur trois déclare avoir vu son enseignement contesté. Un chahut systémique semble s’être installé dans les classes sans que personne ne s’en émeuve. C’est pourtant l’une des missions les plus essentielles du service public qui se trouve entravé de la sorte.
Vous parlez de chahut, ce terme n’est pas très usité aujourd’hui…
J’ai contribué à lever le tabou du harcèlement scolaire. Je veux aujourd’hui lever celui portant sur le chahut. Combien de professeurs s’épuisent-ils à tenter de créer les conditions permettant de faire cours, sans souvent y parvenir ? La situation du professeur en difficulté dans sa classe ressemble sur bien des points à celle de l’élève victime de harcèlement scolaire. Il s’agit d’actes répétés sur une longue durée, c’est un phénomène de groupe, celui qui le subit se trouve dans l’impossibilité de se défendre par lui-même. Mais il existe une différence significative entre les deux phénomènes : les élèves victimes de brimades sont incités à parler. Il existe, et c’est heureux, grâce au programme pHARe, dans un grand nombre d’établissements, des équipes spécialement dédiées au traitement des situations de brimades. Le Centre ReSIS contribue largement à la formation de ces équipes. Mais le professeur chahuté a-t-il d’autre recours que de se taire ? De subir en silence cette violence quotidienne ? Quel soutien reçoit-il de ses collègues ou de sa hiérarchie ? Et il n’est pas rare que le professeur chahuté soit mis en cause ! N’est-il pas responsable de ce qui lui arrive ? Sait-il bien tenir sa classe ? Y a-t-il de pire injustice pour un professeur que de ne pas pouvoir exercer son métier en paix ? Alors oui, il est temps de lever le tabou sur le chahut, de cesser de le considérer comme un phénomène marginal, mais comme un authentique risque professionnel qui concerne un très grand nombre de professeurs et de classes et qu’il convient de traiter.
Comment définissez-vous l’autorité ?
Je me garderai bien de donner ma propre définition de l’autorité. Hannah Arendt l’a fait dans un texte magistral qui a plus de 60 ans. La philosophe oppose d’abord l’autorité à la force, à la brutalité, à la coercition. Celles-ci interviennent précisément lorsque l’autorité a été sans effet. Mais elle l’oppose aussi à la discussion, à la négociation, aux palabres interminables. C’est moins qu’un ordre et mieux qu’un conseil, disait Theodor Mommsen. L’autorité n’a nullement besoin d’être vexatoire, humiliante, blessante. Elle peut être parfaitement courtoise. Mais elle doit être sans appel. C’est une alliance entre la courtoisie et la fermeté.
Pourquoi renouer avec l’autorité et non pas la restaurer ?
Je ne suis nullement nostalgique d’une école ancienne, avec surveillant général et blouse grise, cette école que j’ai connue dans laquelle les élèves devaient se prémunir autant de la violence de leurs pairs – car le harcèlement ne date pas d’hier – que de la violence de leurs maîtres. Non, cette école, je ne la regrette aucunement. Et je ne veux rien restaurer ni rétablir. Je ne veux pas davantage chercher pourquoi et comment le lien d’autorité a pu se briser. Je veux essayer de rechercher comment, à partir de quelques mesures très concrètes, on peut renouer, au sein des établissements, avec la part d’autorité sans laquelle l’acte éducatif s’avère impossible.
Des mesures concrètes… Pouvez en citer quelques-unes ?
La plus importante me semble être de définir et d’imposer au sein des classes et des établissements des règles de civilité et de courtoisie. Comment a-t-on pu s’accoutumer à un quotidien fait d’insultes et de propos grossiers ? Il faut imposer une tolérance zéro à l’égard des injures, des propos inconvenants ou déplacés. À l’école on ne s’exprime pas comme on pourrait le faire chez soi, dans son quartier ou sur les réseaux sociaux. Les professionnels doivent être incités à rappeler à l’ordre tout élève contrevenant à cette règle et à procéder à un signalement. Les professionnels doivent eux-mêmes être incités à s’exprimer en direction des élèves de la façon la plus courtoise. Il est essentiel d’instaurer au sein de l’établissement scolaire des règles de parfaite civilité.
Et lorsqu’il y a infraction à ces règles, comment procède-t-on ?
Il me paraît essentiel de réformer l’actuel système des sanctions scolaires. Actuellement coexistent en collège et lycée, deux dispositifs : d’un côté les punitions, telles qu’un mot sur le carnet de correspondance ou des heures de retenue… Les punitions peuvent être données par tout professionnel de l’établissement et d’autre part les sanctions qui relèvent strictement du chef d’établissement parmi elles : l’avertissement, l’exclusion temporaire… Ainsi la même infraction sera-t-elle sanctionnée ici par une simple punition et là par une sanction, selon que l’enseignant signalera ou non l’incident. Ainsi une même infraction sera-t-elle sanctionnée de façon totalement différente d’un établissement à l’autre. On a vu des situations dans lesquelles des insultes en direction d’enseignants donnaient lieu à une simple lettre d’excuse ! Comment un tel système pourrait-il être efficace ? Il est inévitable qu’il soit perçu comme profondément injuste par les élèves. Je propose dans ce livre quelques pistes afin de créer un système de sanction plus juste, plus équitable.
Vous terminez le livre par l’évocation d’un établissement, le lycée Hannah Arendt…
L’oeuvre d’Hannah Arendt m’a servi de fil conducteur tout au long de mon analyse. Aussi ai-je imaginé un établissement auquel on pourrait donner le nom de cette philosophe et qui mettrait en oeuvre les principales dispositions contenues dans ce livre. Cela n’a rien d’utopique ; il s’agit d’un projet parfaitement réalisable dans le contexte de l’école d’aujourd’hui. Nous sommes, au Centre ReSIS, convaincu qu’un établissement peut renouer avec l’autorité nécessaire à des conditions de vie et d’études paisibles pour les élèves comme pour les professeurs.
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