Sortir satisfait et apaisé d’un entretien, d’une conversation, d’une réunion, voire d’une soirée entre amis dépend fondamentalement de notre qualité d’écoute et de la pertinence des questions qui alimentent nos échanges. Bien poser nos questions nous permet d’obtenir les informations utiles pour faire des choix et prendre les bonnes décisions.
Dans son nouveau livre, J'arrête de faire les questions et les réponses (en librairie le 16 octobre) Lionel Bellenger nous invite à interroger nos manières de questionner et nos habitudes d’écoute. Il offre des ressources utiles pour bien s'écouter pour mieux se comprendre et avancer ensemble.
En quoi un meilleur usage des questions peut-il améliorer nos relations personnelles et professionnelles ?
La question est comme une passerelle jetée vers l’autre. Elle est le moyen de l’échange par excellence. Selon sa qualité (ouverte, fermée, suggestive…) elle facilite l’échange et permet la transmission d’informations, elle va chercher le ressenti des interlocuteurs et régule le dialogue. Les questions relais permettent d’approfondir les réponses. Le questionnement participe au processus de compréhension mutuelle, y compris lors d’échanges tendus. C’est par des questions que l’on peut accéder à une bonne compréhension des désaccords.
« Se comprendre est un chef d’œuvre » écrivait avec lucidité le théoricien de la littérature Paul Valéry. Et gageons qu’une bonne qualité de questionnement y contribue. Sur le plan professionnel, le questionnement s’est imposé comme une ressource essentielle. Talleyrand notait qu’on fait plus avancer une négociation par une bonne question que par un argument. Il faut donc d’abord chercher à comprendre pour s’ouvrir la possibilité de convaincre.
Peut-on influencer par le questionnement ?
Questionner est autant l’outil de la conversation, de l’interview, que de l’interrogatoire. À chaque fois, le point central est le dévoilement. C’est faire dire, amener à dire, voire contraindre à dire. Tout est dans l’intention du questionneur : dans l’interrogatoire judiciaire, c’est « confondre » l’interlocuteur, l’amener à reconnaitre, à dire la vérité ; dans les situations polémiques, c’est chercher à mettre en contradiction l’interlocuteur. Il y a une très grande responsabilité à prendre en compte pour le questionneur. Chercher à « piéger » pose un problème d’éthique. Par un questionnement incisif on peut contribuer à disqualifier une personne en la poussant à la faute. Dans l’art de la conversation, le questionnement se veut moyen de séduction, procède par complicité, se veut agent de complaisance. Il produit de la proximité et de la confiance. Pour le meilleur, la volupté et la griserie du dialogue et pour le pire, la tromperie et la trahison.
Pourquoi, selon vous, avons-nous tant de mal à poser des questions sans y glisser déjà nos réponses ?
Parce qu’on aimerait tant que l’autre pense comme nous ! Alors on lui soumet notre avis plutôt que d’être curieux du sien, y compris lors d’échanges ordinaires : « pourquoi tu es en retard, il y avait des embouteillages ? », « qu’est-ce qui vous a manqué dans ce match, la confiance ? », « qu’est-ce vous attendez de cette formation, des méthodes ? »... C’est ainsi que s’installe une dimension projective dans l’échange. On est centré sur soi, sur ce que l’on pense ou ressent, au lieu de se centrer sur l’autre. La solution est de retrouver le sens de la curiosité, découvrir l’autre et partager le bout de chemin de sa réponse, de son raisonnement, de son ressenti.
Entendre l’autre, c’est un état d’esprit et une discipline.
Vous soulignez l'importance des "questions miroir" : à quoi servent-elles et comment les utiliser ?
Les questions miroir servent à savoir ce qu’il y a derrière les mots. Par exemple, si l’autre dit « ça n’a pas marché ce projet ! », il vaut mieux enchaîner en disant : « ça n’a pas marché ? » sur un ton interrogatif et apaisé en marquant un silence. C’est un réflexe loin d’être partagé. Beaucoup de personnes basculent sans s’en rendre compte en faisant des suggestions : « pourtant, tout était bien préparé… les objectifs étaient clairs ! ».
Vous dites que pour poser des questions, il faut être dans une attitude d'écoute. Comment se mettre en condition pour écouter ?
L’idée c’est de se mettre dans l’état d’esprit d’entendre pour découvrir, donc de considérer l’autre pour ce qu’il dit. C’est chercher à avoir accès à ce qu’il pense, ce qu’il dit, ce qu’il ressent, ce qu’il exprime. Les finalités sont variées : prendre du plaisir à partager, chercher comment conseiller, être utile à l’autre, recueillir la parole, éventuellement trouver le chemin pour construire quelque chose ensemble, dévoiler une incompréhension et en saisir le sens. On peut tomber ainsi d’accord sur un désaccord.
Pourquoi a-t-on souvent l'impression de ne pas être écouté ?
Il y a plusieurs symptômes : l’autre ne répond pas à nos questions, ne montre pas de curiosité, répète la même chose, ne tient pas compte de ce qui se dit, reste inaccessible, refuse l’échange. L’échange peut être justement vécu comme un obstacle. Pour progresser, il faut accepter qu’il y ait une forme de co-responsabilité dans la situation : questionnement inapproprié, emprise, réponses de fuite, hostilité, rigidité ou perversité. L’incompréhension est presque toujours coconstruite et, avec le temps, s’autorenforce. Seul, il est difficile de s’en sortir : le besoin d’un accompagnement s’impose pour y voir plus clair.
Pourquoi écrivez-vous que l'écoute empathique est l'alliée des rencontres professionnelles ?
Déjà le mot "rencontre" met sur le bon chemin, car la rencontre est la situation la plus propice pour avancer. La rencontre, c’est une fécondation pour la pensée, les émotions. C’est produire ce que nous sommes en respectant l’autre au point d’accepter le partage, la controverse, l’alliance, la complicité. Oublions la pensée de Sartre (« l’enfer, c’est les autres ») et croyons dans l’aubaine des rencontres. C’est dans la rencontre que nous existons, que nous nous découvrons, que nous relevons le défi de l’altérité pour avancer ensemble.
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