Après leur ouvrage L'école dans et avec la nature. La révolution pédagogique du XXIe siècle, devenu une référence sur le sujet, Corine Martel et Sylvain Wagnon publient ce mois-ci un nouveau livre intitulé Jardiner à l'école pour s'ouvrir au monde. À travers ce guide résolument pratique, ils expliquent pas à pas comment mettre en place un jardin pédagogique avec l'objectif d'encourager l'autonomie des élèves et les sensibiliser à la nature. Bien plus qu’un simple espace vert, le jardin est une source d’inspiration et d’apprentissage enrichissante pour les élèves et leurs enseignants.
Depuis quelques années, on prône de plus en plus les bienfaits de l'école dehors et de la végétalisation des cours d'école. À quand remonte l'idée des jardins pédagogiques ?
L'engouement pour l'école en plein air est une réalité. La crise sanitaire a joué un rôle de catalyseur en accélérant la prise de conscience de la nécessité de reconnecter chacun, particulièrement les enfants, avec la nature. Cette école dehors, hors les murs, en plein air, quel que soit le nom que l’on lui donne ne représente pas un phénomène de mode. Comme nous l'avons analysé dans notre ouvrage précédent, il s'agit en réalité de la révolution pédagogique du XXIe siècle.
Dans cette perspective, nous souhaitions mettre en lumière l'importance d'un espace et d'une activité spécifique : le jardin. Les jardins pédagogiques existent depuis l'Antiquité. Ils sont des lieux de réflexion, d'apprentissage et de culture des plantes et des végétaux, mais également des espaces permettant de prendre conscience de l'importance de l'environnement pour les êtres humains, une notion que nous avions peut être négligée.
Contrairement à une idée reçue, le jardin pédagogique a des racines profondes dans l'histoire scolaire. Au XIXe siècle, les jardins scolaires étaient généralisés dans les écoles primaires françaises, ainsi que dans les écoles normales, lieux de formation des enseignants. Le travail au jardin scolaire permettait aux élèves d'acquérir des compétences pratiques et de compléter leurs apprentissages en classe. C'est cette histoire que nous voulons également rappeler pour souligner tout l'intérêt et l'actualité de la création d'un jardin pédagogique à l'école aujourd'hui.
Quels sont différents types de jardins pédagogiques que vous présentez dans l'ouvrage ?
Les jardins pédagogiques se présentent dans une multitude de formes, adaptées aux besoins et aux ressources de chaque établissement scolaire. Ce que nous démontrons, c'est que qu'il s'agisse d'un jardin potager, d'un jardin floral, d'un jardin de plantes médicinales et aromatiques, d'un jardin sensoriel ou d'un jardin écologique, ils offrent tous aux élèves la possibilité d'une expérience pratique et concrète de la nature. Ils permettent de comprendre la fragilité de notre environnement végétal mais aussi sa force, sa capacité à s'adapter et à se transformer. Chaque forme de jardin pédagogique possède ses propres caractéristiques, mais ils peuvent évoluer selon les intérêts de chacun. Dans tous les cas, ils méritent d'être respectés en tant qu'environnement vivant et ils sont des leviers pour les apprentissages.
En quoi la mise en place d'un jardin pédagogique peut-elle être bénéfique pour les apprentissages des élèves ?
La création d'un jardin pédagogique favorise la mise en œuvre de nombreux apprentissages et embellit l'environnement scolaire. Nous montrons dans cet ouvrage qu’elle permet notamment un travail de planification et d'organisation tout au long de l'année, favorisant ainsi la structuration du temps et de l'espace. Mais aussi le développement de compétences psychosociales telles que l'entraide, la coopération, l'autonomie et la créativité, contribuant à instaurer un climat scolaire plus favorable. L'acquisition de compétences linguistiques transversales, avec un enrichissement du vocabulaire (fruits, légumes, outils, actions, etc.), essentiel à la réussite scolaire des élèves. Des apprentissages dans le domaine des mathématiques, notamment par le dénombrement des plantes et la réalisation d'un budget avec un cahier des charges à respecter. Sans oublier le développement de l'esprit critique et de l'initiative par le biais de la démarche d'investigation scientifique. Il est facile, en jardinant, de faire des observations, des recherches pour tester l'efficacité des plantations, observer ce qui pousse ou non, améliorer les récoltes et étudier la faune, tels que les pollinisateurs. Ces apprentissages concrets favorisent une approche pédagogique axée sur le projet. Enfin, la mise en place d'une démarche de Développement Durable, en prévoyant par exemple des emplacements dans le jardin pour favoriser l'installation des auxiliaires du jardin (hôtels à insectes, abris à hérissons), ou en plantant différentes variétés de fleurs adaptées à différents types d'insectes.
Quelles sont les principales étapes à suivre pour créer un jardin pédagogique ?
Nous proposons dans l’ouvrage de façon très pratique et concrète une série d’étapes. Tout d’abord se concerter en équipe pédagogique (conseil de maitres) pour mettre en place et/ou se partager le lieu d’apprentissage « jardin » mais aussi pour définir des objectifs pédagogiques visés.
Puis planifier le travail sur l’année au jardin : plan du jardin, aération du sol et amendement en amont des plantations, réfléchir à l’orientation du jardin en fonction de l’ensoleillement, à l’apport en eau… Pour cela, il va donc falloir faire une étude du sol avec les élèves. Pour ces étapes, on peut s’entourer de parents « jardiniers » ou de paysagistes.
Penser aussi à organiser physiquement l’utilisation du jardin : les aspects pratiques concernant l’entretien doivent également être pris en compte lors de la conception. Il est important de prévoir des allées accessibles pour faciliter l’entretien et les activités pédagogiques. L’installation de systèmes d’irrigation appropriés et l’accès à l’eau sont également des éléments à considérer.
Enfin, réaliser les semis en classe, puis les plantations : Il est conseillé d’opter pour une diversité de plantes, notamment des légumes, des herbes aromatiques, des fleurs et des plantes indigènes. Il est intéressant d’inclure des espèces adaptées au climat local, résistantes et faciles à cultiver. Les plantes peuvent être choisies en fonction des apprentissages spécifiques prévus, de leur cycle de vie, de leur utilisation ou de leur attractivité pour la faune locale.
Les communes peuvent dès le départ être prévenues du projet en conseil d’école pour aider à concevoir ou à entretenir le jardin.
La création et l'entretien d'un jardin pédagogique comprennent aussi des contraintes. Quelles sont-elles et quelles solutions proposez-vous ?
Le jardin, en tant qu'espace vivant, est soumis aux aléas climatiques et il évolue également au rythme des saisons. Cela engendre effectivement une série de contraintes, notamment en ce qui concerne la gestion du temps pour l'entretien et le développement du jardin.
Cependant, ce que nous démontrons, c'est que ces contraintes sont surmontables. Les contraintes de temps, par exemple, sont rapidement compensées par le fait que le jardin constitue un levier incomparable pour tous les apprentissages, qu'ils soient intellectuels, physiques ou émotionnels. Le jardin n'est pas une source de contrainte mais une opportunité.
Certes, la nécessité de finir les programmes existe, et nous l'expliquons. Cependant, cela demande une organisation et surtout la participation de tous : enseignants, élèves, personnel non-enseignant, parents. C'est en créant cette communauté éducative autour du jardin qu'il devient un véritable projet d'école.
Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui voudrait se lancer dans la mise en place d'un jardin pédagogique ?
Mettre en place un jardin est avant tout une aventure collective avec d’autres enseignants de l’école mais aussi avec les élèves de la classe. Pour que le projet s’inscrive dans la durée il est important que l’enseignant et les élèves prennent plaisir à s’investir dans les plantations, dans l’observation de la croissance des végétaux et de la faune qui y habite.
Il est plus facile de se lancer sur un jardin floral que sur un jardin potager lors d’une première expérience, par exemple. Quelque soit le résultat, même si certaines plantes ne poussent pas comme on le souhaiterait, c’est déjà un résultat en soit car l’objectif de ce projet est avant tout pédagogique et non productiviste. On peut alors chercher avec les élèves les raisons de ce qui a échoué : peu de pollinisateurs, des ravageurs type pucerons qui attaquent le plant ou tout simplement un arrosage trop conséquent ? Nous sommes là au cœur d’une vraie démarche !
Ainsi pour réussir son jardin, il s’agit de planifier les actions à réaliser et conceptualiser le site. Le jardin entre, par ses actions en EDD, dans le projet d’école.
Il est important de s’entourer des parents, mais aussi des animateurs ou agents territoriaux qui pourront arroser le jardin pendant les vacances scolaires et aider à l’entretenir. Il faut enfin relativiser le fait que le jardin puisse ne fonctionner que de septembre à juin. C’est ainsi que l’on évitera de planter des tomates, des aubergines qui seront à récolter en plein été voire des courges qui doivent être arrosées tout l’été pour produire en septembre-octobre.
À propos des auteurs :
Corine Martel est docteure en écologie, inspectrice de l’Éducation nationale dans le 1er degré, chargée de la mission sciences et éducation à l’environnement et au développement durable pour le département de l’Hérault. Elle forme les enseignants aux problématiques de biodiversité et changement climatique, via notamment l’école dans la nature.
Sylvain Wagnon est agrégé et docteur en Histoire, professeur en Sciences de l’éducation à l’université de Montpellier, responsable du centre d’Histoire de l’éducation de la faculté d’éducation (Cedrhe). Ses recherches sont centrées sur l’histoire des pédagogies d’Éducation nouvelle, les défis actuels des pédagogies alternatives et actives.
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