Convaincre est un exercice difficile. Dans de nombreuses situations personnelles comme professionnelles, nous disposons de seulement peu de temps pour essayer de convaincre notre interlocuteur ou notre auditoire... et l’urgence de la situation peut souvent nous faire perdre nos moyens.
Spécialiste de la négociation, Lionel Bellenger nous apprend à maitriser le temps, chercher nos idées fortes, les articuler et trouver les punchlines efficaces dans son livre Convaincre en 7 minutes chrono (à paraître le 19 janvier). Il montre comment mettre tous les atouts de son côté pour réussir ce défi : établir les scénarios gagnants, trouver les accroches qui captivent, faire vivre son discours pour séduire et persuader, optimiser chaque opportunité pour asseoir sa crédibilité.
Rempli d’anecdotes, d’exemples et d’outils, ce livre vous aidera à vous préparer sans stresser et à gagner en assurance pour être prêt à convaincre en toutes circonstances !
Quels avantages peut-on tirer d’une intervention orale très courte ?
Lionel Bellenger : Clairement, qu’elle soit plus pertinente. Pourquoi ? Parce qu’elle oblige à une préparation plus soignée. Elle incite, parce qu’il va falloir faire court, à sélectionner les arguments en fonction de l’interlocuteur ou de l’auditoire. Qu’est-ce qu’il peut entendre ? Qu’est-ce qui peut lui être utile ? Qu’est-ce qu’il attendait ? Par ailleurs, l’intervention orale courte provoque un exercice de discernement : sur quoi repose mon raisonnement ? Est-ce que mes arguments tiennent la route ?
Ce genre de prise de parole confronte à un paradoxe : l'investissement dans une préparation approfondie, un fort travail de réflexion, d’évaluation et de choix pour un bref moment d’exposé capable de déclencher un déclic.
Quels sont les pièges à éviter lors d’une communication rapide ?
L. B. : Il ne faut pas s’imaginer qu’on puisse improviser, croire dans l’expérience ou l’habitude qu’on a.
Attention à ne pas rater son démarrage, les premiers mots, ni parler en pensant ou penser en parlant… au risque de se perdre. Il faut aussi veiller à ne pas enchaîner des phrases trop longues comme si on exposait à ceux qui écoutent la difficile élaboration de nos idées. Le pire serait de laisser s’installer dans l’auditoire des doutes : où est-ce qu’il veut en venir ? Qu’est-ce qu’il veut nous dire ? D’où il nous parle ?
Autre piège encore, faire trop long (même si c’est en apparence bien structuré) et que ça confirme le mauvais dosage : on n’a vu qu’un aspect trop développé, la fin bâclée, des parties annoncées mais escamotées… C’est frustrant à coup sûr pour ceux qui écoutent.
Vous conseillez d’écrire plusieurs scénarios pour se préparer. Comment faire concrètement ?
L. B. : Ça oblige à une vraie réflexion et à des choix. Pour un pitch, l’amorce et la clôture sont des temps forts. Le développement, s’il comporte 3 parties, sera structuré selon des inflexions choisies : frapper, apaiser, surprendre ou dans un autre ordre, surprendre, frapper, apaiser. Pour qu’un pitch ait un impact, il faut qu’il produise des effets émotionnels. L’orateur est un scénariste. Tout dépend de ce que je veux produire : rassurer, enthousiasmer, provoquer… La bonne méthode, c’est de s’enregistrer et de réécouter pour tester l’impact en pensant toujours à l’auditoire et ce qu’on sait de lui, ses attentes. Ce n’est pas pareil que de présenter un projet d’investissement à un comité de direction, parler d’un nouveau service à des clients fidélisés ou encore vendre à des prospects une politique d’abonnement.
C’est passionnant de trouver le bon montage. Des conseils extérieurs peuvent être bienvenus. Mais la règle c’est : expérimenter, travailler, ajuster, choisir et… répéter (« se mettre en bouche » comme disent les acteurs de théâtre).
De quelle manière doit-on utiliser sa voix lors d’une intervention ?
L. B. : On doit utiliser la voix comme une ressource essentielle pour donner du relief, du contraste, de la force aux propos. Le bon chemin, c’est la variété. Le poison : un débit régulier, monocorde, sans inflexion, sans respiration. Une parole qui vit est une parole en mouvement. Seul le mouvement « emporte », captive et accroche. La vitesse change : accélérer, ralentir, utiliser les silences. Le ton varié rapproche de l’auditoire, l’aspire en influençant les respirations. La voix reflète ce que l’on ressent : envie, passion, mépris, inquiétude. Elle transmet du sens, c’est en tout cas un matériau à interpréter par l’auditoire, par nature hétérogène. On peut penser qu’une tendance générale, suffisamment consistante va s’imposer. Le propos sera par exemple ressenti comme tonique et solide ou hésitant et fébrile au risque de quelques interprétations discordantes. L’unanimité est de l’ordre de l’impensable, et heureusement. Certains seront séduits quand d’autres seront agacés. Parler expose, le risque est à prendre, le défi à relever.
La parole a toujours un impact, mais pas forcément le même chez ceux qui écoutent. Pour un pitch devant une assemblée ou un comité, quelques repères qui ont fait leur preuve ouvrent un chemin vers l’auditoire : démarrer sur un débit lent, un ton grave, garder le buste droit, ménager quelques brefs silences, regarder les participants ; ensuite varier les inflexions, le rythme, colorer, proposer des contrastes, terminer sur un temps fort, détacher l’essentiel, libérer l’énergie. La voix, en finale doit dire quelque chose de la conviction, de l’envie de dire quelque chose, mais surtout de transmettre, c’est-à-dire de partager. Bref, la voix est une composante majeure du lien. Et sans ce lien, aucune chance d’avoir le moindre impact au sens d’une adhésion, au minimum d’un peu d’attention et de considération. D’où l’importance de réfléchir sur les ratages toujours possibles.
Le charisme est un atout essentiel. Que travailler pour devenir charismatique ?
L. B. : Vaste question ! Ce sont les autres qui ressentent ce qu’on appelle du charisme depuis le renouvellement de cette notion par le sociologue Max Weber.
Au-delà de « faire autorité » par l’expertise, le vécu, la légitimité reconnue, un orateur est ressenti comme charismatique quand il incarne ce qu’il dit. C’est une affaire d’engagement, d’investissement. « Le coach, il a su nous parler », disent les joueurs dans le milieu du sport ; le chef du service hospitalier il a trouvé les mots pour mobiliser son équipe en plein contexte de crise, le professeur, il a réussi à passionner ses élèves et les intéresser, la confiance est assurée et de meilleurs résultats sont attendus.
S’investir, c’est prendre des risques, se montrer disponible, avoir envie de faire partager, d’être utile, de « donner de soi ». Est ressenti comme charismatique quelqu’un qui y met du cœur, qui respecte les autres, qui prend en compte leur liberté. Ce n’est pas quelqu’un qui oblige, impose, dicte. C’est quelqu’un qui ouvre la voie, guide, suggère, qui fait preuve de la plus belle des autorités, l’« auctoritas » des latins, celle qui fait grandir, à la différence de la « potestas » qui administre et légifère.
Pour faire court, on peut dire qu’un orateur qui inspire est sur le chemin du charisme. Le courage et la combativité sont souvent constitutifs d’un ascendant capable de mobiliser en donnant du sens à l’action. L’erreur serait de réduire le charisme au seul talent oratoire.
Qu’est-ce qu’un discours réussi selon vous?
L. B. : C’est un discours qui n’est pas parfait, récité. Hors de toute forme d’arrogance donc proche, accessible et pas « hors sol », clair sur ce qui le fonde : pourquoi, au nom de quoi et dans quel but ? Le discours est réussi si l’auditoire peut en faire quelque chose : agir, expérimenter, douter, remettre en question, conforter, inciter à aller plus loin. La notion de déclic est intéressante, c’est en phase avec la brièveté d’un pitch : quelques minutes pour créer quelque chose. L’idée d’ouvrir, de montrer un chemin, de donner envie d’en faire plus, me parait raisonnable.
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